Handicap, une mine de talents ignorés par les recruteurs?

Après son article au sujet du Management des Générations X, Y et Z, nous accueillons à nouveau avec plaisir un article rédigé par Céline Cibrand, chargée RH à la CPAM de Clermont Ferrand depuis plus d’un an. Elle suit actuellement une formation pour devenir consultante RH et nous livre des informations précieuses sur les talents en situation de handicap.

Bonne lecture !


Les personnes souffrant d’un handicap sont souvent écartées des recrutements. Parfois, elles passent la phase de la sélection des CV, une façon pour l’entreprise ou le cabinet de recrutement de ne pas être catalogué de discriminant. Mais, l’étape de l’entretien débouche rarement sur une embauche.

Qu’est-il reproché à ces candidats :

  • Manque de formation (niveau scolaire insuffisant) et de technicité,
  • Lenteur dans la réalisation de leurs tâches,
  • L’obligation d’aménager le poste de travail engendrant des frais supplémentaires (par rapport à une personne sans handicap),
  • Difficulté d’intégration dans une équipe de « valides » (sentiment que le salarié handicapé est privilégié par des objectifs moins contraignants que ceux de ses collègues)

Mais est-ce systématiquement la réalité ou des préjugés ?

Heureusement les mentalités changent grâce :

  • Aux avancées et mutations technologiques,
  • Meilleure prise en charge du handicap en milieu scolaire,
  • Communication positive sur le handicap,
  • Un accès accru à la formation professionnelle,
  • Promotion de la diversité et de l’insertion professionnelle.

Tordre le cou aux préjugés

 

Pionnier dans ce domaine, le secteur du numérique ouvre les bras à des profils « différents». En Californie (États-Unis), dans la Silicon Valley, des entreprises recrutent de plus en plus d’autistes Asperger.

Pourquoi ?

« Tout simplement parce que les autistes Asperger sont plus efficaces au travail, dans certains domaines, notamment l’informatique, ou encore la création artistique  » 

Comme nous le confirme Chad HAHN, cofondateur de l’entreprise MindSpark qui recrute parmi les personnes atteintes de cette pathologie.

Il voit en eux un « énorme réservoir de salariés talentueux que peu de monde regarde ». En effet, il explique que « leur obsession des détails et leur capacité de concentration sont des atouts dans le secteur informatique. »

 

La France rattrape son retard dans ce domaine. Par exemple, la start-up AVENCOD, spécialisée dans le développement numérique et les tests informatiques, emploie des personnes en situation de handicap. Son cofondateur, Laurent Delannoy précise que ses équipes « sont majoritairement des autistes porteurs du syndrome d’Asperger en raison de leur sens du détail et leur rigueur« . Ce sont des profils qui « répondent parfaitement à la pénurie de développeurs et des testeurs numériques de qualité. » L’entreprise adaptée a convaincu de grands groupes comme THALES, AMADEUS, ATOS, AUSY et le moteur de recherche éthique QWANT à faire appel à ses services.

 

Ainsi, les handicapés contribuent à la biodiversité de ce que l’on appelle improprement le « capital humain » des entreprises. Les compétences particulières développées par les handicapés doivent être entendues au sens large du mot : ce sont des connaissances mais aussi des savoirs-faire et des savoirs-être ; des attitudes et des aptitudes.

 

M. Seymour PAPERT, professeur au célèbre Institut de la Technologie du Massachusetts (MIT) et un des pionniers de l’Intelligence Artificielle, rappelait dans des études réalisées dans le cadre de son Groupe de Recherche sur l’Épistémologie et l’Apprentissage que :

« nous sommes tous en situation de handicap,  certains un peu plus que d’autres »

 

Qui ne se souvient pas des extraordinaires capacités du personnage autiste incarné par l’acteur Dustin HOFFMAN dans le film RAIN MAN réalisé par Barry LEVISON ? Ce rôle a valu à son interprète l’oscar du meilleur acteur sur les 4 statuettes remportées par ce mélodrame [1].

Faire rimer handicap et talent

 

La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées – dite « loi handicap ». définit le handicap comme : « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».

 

Certes cette définition, somme toute clinicienne, est juste, mais dans le même temps elle est réductrice. Elle tend à alimenter les préjugés et les idées reçues des recruteurs et des salariés sur le handicap en entreprise. Ainsi, les compétences techniques, intellectuelles ou soft skills de ces individus sont complétement occultées. Or, le talent et le handicap ne sont pas antagonistes.

 

Pour preuve, citons le cas d’école du virtuose mondialement reconnu, Michel PETRUCCIANI, souffrant depuis son plus jeune âge  d’ostéogénèse imparfaite (maladie génétique très rare) : Cette maladie entraîne de fréquentes fractures, une fragilité pulmonaire et, une toute petite taille. Seules ses mains sont de taille normale. Elles vont se révéler être l’un de ces atouts majeurs puisqu’elles lui permettront de développer son talent pour le piano.

 

Grâce à son incroyable carrière, il est parvenu à faire oublier sa maladie à son public et à son univers professionnel. Cet artiste a démontré que les personnes en situation de handicap ont la même possibilité que n’importe qui de s’épanouir dans une passion et même d’y exceller.

 

Autre histoire significative allant dans ce sens : celle de la jeune américaine Collette DIVITTO atteinte du syndrome de Down [2], qui à force de courage et d’espérance, est parvenue à réaliser son rêve et révéler ses talents de pâtissière, de manager et de porte-parole.

 

En raison de son handicap, malgré une licence en affaire et des cours de pâtisserie, tous ces entretiens professionnels se soldaient par des réponses négatives. Déterminée, elle a décidé de monter sa propre entreprise de cookies. Sa boutique a rapidement connu le succès et les commandes ont affluées. Désormais, elle embauche des personnes souffrant toutes de divers handicaps et dirige treize employés.

 

Collette est également enseignante pour de jeunes entrepreneurs et travaille avec des organisations gouvernementales sur l’aide à l’embauche des personnes handicapées. Sa devise est que :

« Tout le monde ait les mêmes opportunités dans la vie. Il faudrait que l’on se concentre avant tout sur les compétences des gens, plutôt que d’empêcher des personnes handicapées d’accomplir, en raison de leur état, ce dont elles ont envie. »

Détecter et recruter ces compétences qui font « la différence » pour la performance collective

 

Dans son rapport sur l’insertion du handicap, la Global Reporting Initiative (GRI) [3] remarque :

« Les personnes en situation de handicap ont souvent acquis une sensibilité aiguë et des compétences uniques. Elles se révèlent excellentes pour résoudre les problèmes et disposent de capacités d’adaptation remarquables, ce qui améliore leur potentiel de développement d’idées et de solutions originales. C’est également le cas par exemple lorsqu’il s’agit d’identifier des opportunités d’investissement ou de réaliser une étude de marché ».

 

En dépit des idées reçues, on note bien souvent que ces collaborateurs :

  • sont en recherche d’autonomie et de mobilité,
  • et font preuve de créativité et de ténacité.

Ce sont donc des caractéristiques précieuses dont il faut disposer dans son effectif, des compétences rares et distinctives, des approches originales… En langage RH d’aujourd’hui, n’est-ce pas très exactement ce que l’on appelle des talents ?

 

82 % des salariés interrogés lors du sondage de l’institut Louis Harris portant sur l’étude « Handicapés compétents » et ayant un collègue concerné par le handicap, le perçoivent comme étant également performant. Volontarisme et motivation sont deux termes bien souvent employés pour décrire un travailleur handicapé !

 

Selon un sondage réalisé par l’AGEFIPH et Louis Harris auprès de 400 entreprises portant sur la question « Un salarié handicapé peut-il être aussi compétent qu’un valide ? » : 93 % des employeurs ayant recruté un collaborateur en situation de handicap sont satisfaits. Ils les jugent aussi compétents, motivés et plus stables dans l’emploi.

 

N’oublions pas, que chaque jour dans sa vie quotidienne, une personne handicapée doit faire face à des défis et apprendre à s’adapter à notre monde où tout est « mal » normé !
Elle ne peut pas faire les choses à notre manière et bien qu’à cela ne tienne, elle fait preuve d’imagination pour y arriver à sa manière. Ne pas se décourager devant l’adversité, cela forge le goût du challenge, l’envie de réussir et de se dépasser.

Donc s’agissant des capacités d’adaptation, elle est souvent bien mieux armée que le reste de nos concitoyens.

 

Pour autant, recruter et les maintenir dans l’emploi ne s’improvise pas. Il n’est pas question de faire l’angélisme ou de nier des besoins spécifiques.

Alors, bien entendu, il est nécessaire que l’employeur soit accompagné et aidé dans la mise en œuvre de ses démarches dans :

  • la phase de recrutement,
  • la prise en main du poste,
  • l’intégration en entreprise (adaptation du poste de travail et sensibilisation des équipes),
  • et dans la gestion de carrière du salarié.

 

Pour ce faire, différents outils sont mis à sa disposition. Notamment, depuis le 1er janvier 2017, le dispositif dit « Emploi accompagné [4] » (voir fiche détaillée sur le site cap-métier) propose aux travailleurs handicapés de bénéficier d’un accompagnement accentué leur permettant d’accéder et de se maintenir dans un emploi sur le marché du travail dans n’importe quelle entreprise.

 

Les objectifs sont :

  • Placer directement la personne en emploi
  • Lui proposer un soutien individualisé au travail
  • Accompagner l’employeur pour une meilleure compréhension du handicap en situation de travail
  • Identifier les besoins d’aménagements du poste de travail et/ou la sensibilisation du collectif de travail.

 

La méthode comporte :

  • un accompagnement médico-social
  • un soutien à l’insertion professionnelle du salarié
  • un appui et un accompagnement de l’employeur qu’il soit public ou privé.

Le dispositif peut être sollicité tout au long du parcours professionnel par le travailleur handicapé et, lorsque celui-ci occupe un emploi, par l’employeur.

 

Pour accompagner l’employeur, il est mis en place un appui ponctuel par le référent
« emploi accompagné » de la personne handicapée (désigné par le gestionnaire du dispositif) afin d’évaluer et d’adapter le poste de travail. Le tout en lien avec les acteurs de l’entreprise et notamment le médecin du travail.

 

L’accompagnement dans l’emploi doit pouvoir perdurer dans la durée. Celle-ci peut être estimée à au moins une année, pour une intensité de l’accompagnement généralement dégressive en fonction des besoins concrets du salarié et de l’employeur.

Cet accompagnement peut être réactivé à tout moment de manière à répondre ponctuellement à des situations difficiles (variabilité des troubles, évolution de l’environnement de travail…).

 

Co-financé par l’Etat, l’Agefiph et le Fiphfp, ce dispositif peut être mobilisé en complément de l’offre existante de services, aides et prestations d’accompagnement proposées notamment par le service public de l’emploi (Cap emploi-Sameth, Pôle emploi…).

 

Par ailleurs, il existe des associations et des cabinets spécialisés dans le handicap qui peuvent apporter des conseils en matière de recrutement, de formation, de développement des compétences et d’ergonomie des postes de travail. D’autres acteurs sont aussi là pour épauler le salarié et l’employeur : la médecine du travail et le Comité Social et Economique.

 

Surtout, comme pour tout autre salarié, l’employeur peut utiliser les autres dispositifs tels que :

 

Nouveauté issue de la loi « choisir son avenir professionnel » portant réforme de la formation professionnelle :

Il est prévu, à titre expérimental, que le contrat de professionnalisation puisse être conclu en vue d’acquérir des compétences définies par l’employeur et le salarié, avec l’appui de l’opérateur de compétences (OPCO), notamment celles d’un ou plusieurs blocs de compétences.

Dans ce cadre, le parcours n’est pas nécessairement qualifiant ou certifiant. L’avantage de cette formule est une formation sur mesure pouvant s’adapter aux besoins de l’employeur et du salarié.

 

Les entreprises peuvent aussi avoir recours aux Serious Games qui présentent trois intérêts principaux :

  • être bien souvent révélateurs de compétences ignorées ou non exploitées,
  • un contexte conviviale et favorisant le travail collaboratif et le collectif,
  • de formidables outils de sensibilisation des équipes au handicap grâce à leur caractère ludique et pédagogique.

 

Pour faciliter l’intégration, il ne faut pas non plus négliger les échanges avec les collègues de la personne embauchée : la sensibilisation au handicap sans stigmatisation et la promotion des compétences de celle-ci. La désignation d’un mentor ou d’un référent dans l’équipe est un bon moyen pour le salarié d’apprendre à connaître l’organisation de l’entreprise et les membres du personnel.

 

Autre force reconnue d’une personne handicapée : c’est souvent leur bonne humeur communicative et leur enthousiasme, facteurs de fédération autour des projets et de ciment d’une équipe !

En Conclusion

 

Aujourd’hui, recruter et employer une personne en situation d’handicap, ce n’est pas juste répondre à une obligation légale ni mener une action à but social mais bien une contribution à la stratégie de valorisation du capital humain dans toute sa diversité comme avantage concurrentiel au service de la performance de l’entreprise.

A ceux qui se disent encore « c’est trop compliqué », rappelez-vous de cette phrase de Nelson Mandela :

« Cela semble toujours impossible…jusqu’à ce qu’on le fasse. »

 

D’abord, il faut considérer qu’une personne handicapée est avant tout un individu qui, comme tout un chacun et comme tout autre salarié, a des points forts et des points faibles. Il suffit alors d’exploiter ses points forts et sa singularité.

 

Comme précisé dans cet article, le handicap ne signifie pas absence de savoirs faire, de savoirs être et de capacités d’adaptation. Bien au contraire, il révèle des compétences et qualités qui sont aujourd’hui dans le TOP 20 de celles recherchées par les entreprises : capacités d’analyse, implication, créativité, rigueur dans l’exécution des tâches, sens des responsabilités, ténacité, convivialité, autonomie

 

Enfin, les actions pour leur insertion et leur maintien dans l’emploi n’engendrent pas forcément des surcoûts car beaucoup d’entre elles sont subventionnées ou donnent droits à des aides ou existent déjà pour tout autre salarié.

Mettez-vous dans la peau des personnes handicapées qui elles ont pour maxime :

« Oser, c’est encore le meilleur moyen de réussir »

 

Bref, pour toutes ces belles raisons, recruter et participer au développement de l’emploi des personnes handicapées constitue un bénéfice que vous ne pouvez plus vous permettre de  négliger.

 

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Céline Cibrand

 

[1] RAIN MAN – Film de 1988 de Barry levison – Dictionnaire des Films – Larousse (B. Rapp et JC. Lamy)
[2] https://positivr.fr/collette-divitto-trisomique-patissiere-propre-magasin et https://www.trisomie21-cotedor.org/?page_id=3856
[3] Disability in Sustainability Reporting », Global Reporting Initiative (GRI) and ONCE Fundation report
[4] Loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels – article 52 et le Décret n°2017-473 du 3 avril 2017 à la mise en œuvre du dispositif d’emploi accompagné

Photo de Ivan Samkov sur Pexels

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